Eva Joly : contre ACTA, pour une société du partage
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L’accord commercial anti-contrefaçon ne se résume pas à la question du droit d’auteur ou à celle de l’Internet, il renforce les droits des monopoles dans le domaine du vivant.

L’élection présidentielle qui arrive sera décisive pour une échéance inconnue de la majorité des Français, mais qui peut changer le monde.

Alors que la campagne tourne essentiellement autour de la France et du débat national, une partie de notre avenir est en train de se décider au niveau mondial. Le traité Acta, «accord commercial anti-contrefaçon», fait partie de ces grandes décisions.

Comme à la fin des années 1990 avec l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) les citoyens peuvent changer la donne. Le président qui sera élu le 6 mai a la possibilité de refuser de ratifier cet accord. Plus de 2,5 millions de personnes dans le monde, dont 250.000 en France, ont signé la pétition d’Avaaz contre Acta. Il est de notre responsabilité d’élargir la mobilisation commencée depuis plusieurs semaines et d’obtenir que la prochaine majorité qui sera élue s’engage dès maintenant à sortir la France de cet accord.

Ce traité négocié dans le plus grand secret entre l’Union européenne, les États-Unis et une vingtaine d’autres pays a été initié par les multinationales. Acta présenté comme un outil de lutte contre la contrefaçon constitue en réalité un véritable cadeau aux lobbys les plus importants: pharmaceutiques, agroalimentaires et du divertissement, soit ceux qui influencent directement nos vies en façonnant notre environnement, notre santé et notre accès à la culture.

Il y a trente ans, ces lobbys faisaient de la notion de «propriété intellectuelle» le fer de lance de leur action conjointe pour accroître leurs pouvoirs. Aujourd’hui, Acta poursuit cette logique d’amalgame et en illustre les dangers en mettant droits d’auteurs, brevets, marques dans le même panier, quand ces droits très différents renvoient à des situations qui ne sont pas comparables et ne peuvent être traités de la même façon.

Un «Hadopi» au niveau global

Acta mettra en place une instance technocratique, non-élue, qui va favoriser l’adoption de législations suivant le modèle «Hadopi» au niveau global. Mais, régentant les échanges de biens matériels comme immatériels, ce traité donnera aussi des pouvoirs quasi sans limite aux douanes mises au service d’intérêts privés.

Loin de se résumer à la question du droit d’auteur ou à celle de l’Internet, Acta renforce les droits des monopoles dans le domaine du vivant.

Ce traité représente ainsi une menace pour les agriculteurs et la biodiversité. Après avoir tenté de mettre sous tutelle les paysans avec les OGM, les firmes agroalimentaires récidivent. Elles visent à imposer la «propriété intellectuelle» sur les semences ou sur les cultures et les savoirs traditionnels. Un agriculteur pourrait voir ses semences exportées bloquées sur l’ordre de Monsanto, un paysan du Sud pourrait se trouver redevable auprès de la multinationale ayant obtenu un brevet sur son savoir-faire hérité de plusieurs générations.

Ce traité est une menace pour notre santé. Toujours sous le prétexte de lutter contre la contrefaçon, le traité pourrait également restreindre l’accès aux médicaments génériques. Le prix du médicament est aujourd’hui établi sur la base de ce que les marchés occidentaux acceptent de payer, sans aucune logique de santé ou de préoccupation pour le patient.

Acta servira aux gros groupes pharmaceutiques pour lutter contre la concurrence des producteurs de génériques. Ainsi, des médicaments à faible coût fabriqués en Inde pourront être bloqués aux frontières, au prétexte d’un possible non respect des brevets, comme ce fut le cas pour des médicaments contre le sida, restés à la frontière des Pays-Bas sans raison valable.

Faire des biens communs un bénéfice à la portée de chacun

Après avoir imposé la logique de la finance et de l’hyper-rentabilité à toute l’économie, les multinationales veulent à travers ce traité mettre en place un nouveau régime mondial. Il s’agit d’encourager une économie de la rente, dans laquelle un groupe tirera les bénéfices non plus de sa production et de son travail, mais de sa capacité à capter l’innovation.

Mais ce modèle d’économie n’est pas une fatalité; nous pouvons au contraire créer une société de l’accès, dans laquelle la culture et le savoir ne sont pas abordés avant tout comme des marchandises privées, mais comme des biens communs.

Les écologistes revendiquent depuis leur origine une société fondée sur des modèles de partage et d’accès égal aux biens communs. A l’âge des réseaux, la transition écologique que je défends peut compter sur des pratiques renouvelées qui favorisent l’émergence des usages démocratiques que nous prônons.

Nous voulons faire de ces biens communs un bénéfice à la portée de tous et que chacun peut contribuer à enrichir; une société dans laquelle l’artiste, le créateur, l’inventeur sont reconnus et valorisés, et non pas les otages de lobbies ou de grands groupes. Nous voulons préserver les espaces de liberté et protéger la diversité des mondes naturels. On ne peut accepter de se résigner à ce que quelques-uns s’accaparent les ressources, les idées et les richesses.

C’est au nom de ces valeurs que je me suis engagée en politique et que je suis candidate à l’élection présidentielle, parce que mon expérience m’a appris que lorsqu’un petit nombre s’arroge le pouvoir, apparaît la corruption. Lorsqu’un petit nombre s’approprie les ressources naturelles, elles deviennent enjeux de convoitise, sont pillées et s’épuisent. Nous ne pouvons pas laisser quelques grands groupes et hauts fonctionnaires régenter Internet, les échanges de biens matériels et immatériels, la création et la liberté.

C’est donc au nom de la démocratie, de la liberté et de la justice qu’il est de notre responsabilité citoyenne de refuser Acta. Parce que ça n’est pas dans leur monde que nous voulons vivre.

Eva Joly